Tâche 6.4 : Polarisation provoquée

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Polarisation Provoquée pour la caractérisation de la zone critique (côté sous-sol)

Matériels concernés : émetteur polarisation provoquée VIP 5000 (Iris Instruments) ;

Enregistreur I-FULL Waver implémenté sur Syscal Pro (Iris Instruments)

Principe

La « Polarisation Provoquée », ou « PP », a été inventée par les Alsaciens  Marcel et Conrad Schlumberger vers 1913.  Dans leurs recherches sur l’exploration du sous-sol au moyen de courants électriques, ils ont constaté que lorsqu’ils cessaient l’injection du courant, un petit potentiel subsistait quelques instants (quelques dixièmes de secondes, typiquement).

Ce principe n’a pas changé. Il a par contre évolué au gré des progrès techniques et les applications se sont bien diversifiées.

Les dispositifs géométriques utilisés en polarisation provoquée sont les mêmes que pour les classiques prospections électriques. Ils permettent une auscultation du proche sous-sol en une, deux ou trois dimensions, avec une résolution semblable à celle des méthodes électriques en courant continu. Mais en plus de la résistivité, la PP apporte de nouveaux paramètres, comme la chargeabilité, qui précisément est une mesure de la rémanence transitoire du potentiel après cessation du courant. La méthode est facilement étendue au domaine spectral, où l’on mesure la fonction de transfert du sous-sol (fonction de la fréquence), qui apporte des degrés de liberté supplémentaires.

Théorie

La polarisation provoquée est une polarisation électrique. L’injection du courant, assurée au moyen d’électrodes plantées dans le sol,  modifie, de manière réversible, la répartition des charges présentes dans les électrolytes du sous-sol (ions) ou dans des particules conductrices et semi-conductrices (électrons et « trous » d’électrons). Les mécanismes et géométries de répartition des charges sont divers, en voici deux : 1) autour d’un grain de quartz, dont la surface est chargée négativement, c’est le nuage d’ions positifs plus ou moins fortement collés (« adsorbés ») à cette surface qui va se déformer (Figure 1) ; 2) pour une particule à conductivité électronique, comme la pyrite ou le graphite, ce sont les électrons internes qui vont réagir en premier au champ électrique, puis vont constituer un dipôle qui mobilisera les ions au voisinage immédiat de la particule (Figure 2).

 

Figure 1 : Modèle de polarisation d’un grain isolant (quartz par exemple) sous l’action d’un champ électrique externe appliqué via le courant d’injection de l’émetteur de polarisation provoquée. En polarisation provoquée, c’est la relaxation de ce système, où l’on observe ici des ions positifs concentrés à droite de la particule, qui est exploitée.

Fig2

Figure  2 : Modélisation par  éléments finis  avec émergence numérique de la « double couche électrique » à la surface d’un grain semi-conducteur. Grain de pyrite dans un électrolyte de KCL à 0.01 mol/l. La grandeur représentée est la concentration en ions chlorure,  (nulle dans le grain, à gauche). Ce type de simulation, outre qu’il permet de valider les modèles nanoscopiques théoriques, est le point de départ de l’up-scaling permettant de comprendre les signaux à l’échelle du terrain. Les équations modélisées sont celles de Nernst-Planck, couplées à l’équation de Poisson. Résultat obtenu lors de la thèse de Feras Abdulsamad à l’UPMC en 2017.

Equipement

Au moment de la coupure du courant, c’est le retour du potentiel à l’équilibre qui est observé avec les instruments, par le truchement d’électrodes de mesure fichées dans le sol. Mais le signal de retour, celui de polarisation, est souvent cent fois plus faible que celui en usage en prospection électrique classique. Une limite de la méthode étant le bruit électrique naturel (dit « tellurique »), il est nécessaire de monter en puissance pour compenser ce bruit, et nous utilisons pour cela un émetteur « VIP 5000 » (Figure 3) permettant de monter à 10 ampères sous 3000 V.  De plus il est très utile d’enregistrer la totalité des signaux émis, ce que l’on fait dans le cadre de CRITEX avec un appareil également spécifique : le I-FULL-Waver (Figure 4).

En parallèle d’autres  instruments sont utilisés pour la recherche, en particulier ceux permettant des mesures sur un spectre élargi de fréquence (de 0.001Hz à 10 kHz environ). C’est la modalité dite « Spectrale » de la PP (PPS).

Afin d’obtenir un grand nombre de données indépendantes, un protocole de mesure destiné au 2-D ou au 3-D utilise un grand nombre d’électrodes (souvent une centaine, pour fixer les idées), et c’est via un système de « flûtes », c’est-à-dire de gros câbles multibrins (voir l’image en bandeau de la page), que les signaux sont acheminés, en émission comme en réception, aux enregistreurs. L’ensemble est pré-traité sur le terrain (pour vérification), mais le gros du travail d’interprétation se fait de retour au laboratoire, avec des moyens informatiques appropriés.

Applications

La PP est utile en hydrogéologie, pour caractériser le sous-sol (notamment les argiles), pour détecter des pollutions (par hydrocarbures ou métalliques) et enfin pour détecter la présence de certaines minéralisations.

Souvent, ces applications se croisent. Ainsi, sur le site de Guidel (observatoire H+), en Bretagne (Figure 5), on détecte une zone à faible PP précisément dans les zones de circulation de l’eau. Cette image est le négatif de la présence de pyrite, cette dernière ayant disparu des granites, par altération, dans les zones les plus soumises à la circulation de l’eau.

Figure 5: Sur le site de Guidel (observatoire H+) en Bretagne, la chargeabilité est forte dans les granites sains où existent, quoique en faible proportion, des grains de pyrite, minéral à forte réponse PP. Dans la zone de circulation de l’eau, cette pyrite a disparu par altération, et la réponse PP diminue fortement. C’est du moins là une interprétation vraisemblable de ces résultats.

Toujours en hydrogéologie, l’utilité de la PP pour déterminer la perméabilité est clairement établie par de nombreuses études. Et c’est là une excellente surprise, car le géophysicien est mis face au défi de déduire des paramètres hydrogéologiques pertinents des procédés géophysiques (Figure 6). Cette possibilité vient du fait que la constante de temps de relaxation qui opère en PP est liée à la taille des grains par une loi quadratique simple.

Figure 6 : D’après des résultats alors préliminaires de Revil et Florsch en 2010,  la PP offre la possibilité de prédire la perméabilité. Cette idée fait maintenant l’objet de nombreuses études et confirmations, et va atteindre sous peu une maturité permettant une relative banalisation de la méthode pour l’hydrogéologie.

Pour finir, évoquons un exemple d’application de la PP pour la cartographie de déchets métallurgiques. Les scories de sidérurgie contiennent des résidus métalliques (magnétite pour le fer) qui répondent bien à la méthode PP. Le signal correspondant est indépendant de la résistivité de l’encaissant, ce qui permet une bonne délimitation de la pollution. (Figure 7).

Figure 7: Sur le site minier d’Aulus-les-Bains, la PP permet, avec la chargeabilité,  de caractériser des amas de scories de sidérurgie ancienne. Dans le cas de particules dites métalliques (en réalité des oxydes ou sulfures, ici surtout de la magnétite), l’indépendance des signaux (résistivité versus chargeabilité) est spectaculaire, et confère à la PP un statut de méthode quasi-indépendante des méthodes classiques de résistivité à courant continu. C’est que le phénomène de polarisation est lui-même indépendant de la résistivité, sensu-stricto.

Finalement, bien que reposant sur des instruments et protocoles proches des méthodes par courant continu, la PP adresse une autre physique, et constitue une méthode géophysique en propre. La méthode connait un fort renouveau avec une véritable explosion des applications et des études rendues possibles et publiées dans les revues scientifiques internationales.

Responsables du WP : Christian Camerlynck et Nicolas Florsch

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